LE JOUR OÙ JOHNNY M’A PERDUE


Il y a eu un jour où Johnny a perdu moi. À jamais bien que fontaine etc. à jamais plus eau de fontaine de moi Johnny ne boira. Mon affection pour lui qui était vivante d’un jour est morte tuée par violence car c’est ce que violence fait elle tue. Auparavant il y avait eu l’agonie. Auparavant lentement je m’apercevais déjà que l’estime dans laquelle Johnny me tenait au lieu de me tenir me lâchait des petits pets à la figure, des pets embaumés mais c’était fort désagréable c’était très inconfortable je perdais le confort de l’estime de Johnny ça me lâchait tout en gonflant les pectoraux je ne le reconnaissais pas le Johnny. Puis il y a eu le jour où il m’a poussée du petit podium de l’amie de cœur jusque dans la tombe d’une rien du tout.

Ce n’était pas qu’un cas ordinaire de brouille ou de contentieux, de dispute de fâchage et autres simagrées de la mitié. Cette mite rare, c’est pour moi la première fois, cette mite-là c’est à peine croyable je jure elle ne tient pas à moi. Je jure je n’ai rien fait cette fois il ne s’est rien passé c’est tout l’autre cette fois. C’est Johnny. Il a choisi de me perdre plutôt que de répondre à mon appel au secours. Ce que je vais dire est vilain on pourrait l’attraper en gourdin pour défendre pauvre Johnny mais ce serait se tromper lourdement attention je préviens puis je dis dans la grille de Johnny, colonne carrière, rubrique avancement, je n’apparaissais plus cochée comme depuis dix ans à la sous-rubrique utilisable en vue de promotion, par suite d’une part de son récent avancement, par suite d’autre part de cet appel au secours (ce qui m’a pris je dois encore me le demander : qu’est-ce qui m’a pris ?) qui me montrait à lui sans plus aucun de mes pouvoirs magiques, toute impuissante et vulnérable comme je suis aussi, et m’enfonçait d’un coup dans la vase.

Je le sais que si j’aimais Johnny je resterais trouvable pour quand il aura besoin de moi mais violence écrase le lien comme sabot l’asticot et je suis bien trop écrasée depuis ce jour, je suis passée inexistante à Johnny il m’a perdue comme un chien au fond d’un bois je ne peux revenir par pure chiennerie et lui lécher les mains je ne peux me remettre à revivre comme ça. Par mitié défectueuse. C’est pour le restant de la vie cette perdition-là. Johnny Bougeotte. C’est aussi pour ça qu’il n’a pas bien vu. Il n’est pas assez immobile pour voir, les tombes elles sont définitives.

la vilaine rivière Ouse

SOUS PERFUSION


un atelier à l’école d’art  |  j’ai d’abord cru que je devais préparer quelque chose de spécial pour ojd mais quand j’ai demandé au professeur qu’est-ce que tu attends au juste le professeur m’a répondu que tu sois juste toi-même donc juste moi-même j’ai fait à ma façon je n’ai rien préparé pas de plan pas de réflexion pas de pensée pas d’anticipation je veux dire pas sur le plan cérébral mais sur le plan physique oui sur le plan matériel oui pareil et ça parce que mon cerveau n’a pas d’indépendance hors du corps voilà c’est commencé vous voyez je pense que je suis un athlète

donc tout ce que j’ai fait c’est m’entraîner en écrivant ce texte pour me rassurer sachant même que je ne le lirai pas et j’ai apporté avec moi beaucoup d’autres textes pour me rassurer pareillement certains sont en papier d’autres en voix il y a Marlon Brando Ingeborg Bachmann The Blind Boys of Alabama Gherasim Luca Bowie Bukowski Brautigan Tchekhov et Dylan il y a donc des suicidés et d’autres pas du tout et j’espère que tous ils voudront bien passer par les organes du corps ojd

en vérité ojd ça commence comme n’importe quel jour de travail ça commence avec ce qui est là au jour dit au début ça a toujours l’air lumineux et simple et définitif puis après ça s’agglomère ça s’agglutine ça se complique et le travail c’est de garder la luminosité et l’allant même quand ça devient noir càd de garder une bonne raison de ne pas aller se suicider

après avoir écrit ça je me sens bien con et sûrement c’est fait exprès ça fait aussi partie de mon travail de me sentir bien con pour un temps bien profondément con dans le sens de débile puis je viens le jour dit avec mon sentiment bien à vif de grande faiblesse bien con et mon mac mon micro ma lampe mon coussin et des séquences de textes càd des textes qui sont montés à mes oreilles et que je vous propose de lire et d’écouter ensemble pendant cette espèce de concert privé je ne peux pas mieux dire bien que ce soit la première fois de ma vie que je dise un truc pareil

c’est parce que je suis sous l’influence de 40 années d’interviews de Dylan que je viens de terminer de lire je suis encore sous perfusion ça roule dans mon corps en circuit fermé et ça aussi c’est mon travail je dois parler je dois dire ces mots j’y suis forcée pour qu’après l’éblouissement de la voix qui les dit ce soit leur circulation qui m’inonde le territoire et avec elle la déformation la transposition le mix ces couches épaisses et étrangères qui finiront par me déplacer enfin de moi-même

ces jours-ci Dylan m’a dit qu’il n’est pas un interprète et que contrairement aux interprètes il sait ce qu’il dit / que la personne qu’il doit impressionner en premier c’est lui-même / qu’il est attiré par ce qui est beau et menacé et blessé / que son univers est très petit et que c’est ce qui l’empêche d’être détruit / que s’il ne joue pas de musique il ne sent pas totalement en vie

‘un athlète parfait’

Bukowski ‘Chopin Bukowski’

chante tchekhovchante très bien a dit Tchekhov