CE QU’IL FAUT : PAGE 36


parmi les nouvelles de La Vengeance il y en a treize qui sont aussi mortellement précises même dans leur flottement qu’une photographie qu’on n’aurait certainement pas pu prendre soi-même mais qui vous saisit avec elle dans son cadre pour vous y faire vivre longtemps après que vos yeux l’ont quittée ces treize-là peuvent vous revenir sans prévenir elles n’ont pas l’air plus consistantes que des anecdotes mal fagotées pas plus épaisses que des souvenirs de souvenirs mais vous êtes en train de danser sur une voix d’outre-tombe et une d’entre elles vient couler naturellement sur vos épaules en même temps que la sueur accumulée depuis votre naissance et sur le moment vous vous laissez envelopper et presque couler mais ensuite aussi clairement que vous voyez le miel que fabriquent ces femmes vous voyez que c’est aussi ce qu’on peut faire sa vie durant contre le manque d’amour quand on écrit sa vie durant on peut esquisser le passé en en réanimant les poussières dorées on peut l’empêcher de retomber sa vie durant

luciole

ANIMALAMOUR


j’ai écrit ‘Animalamour’ mais les enfants de l’école des Assions ont écrit Animalin et Christian Sorrentino a écrit Du territoire et des bêtes

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quand je compte je compte le non-publié comme le publié et après tant d’années le non-publié compte double c’est étrange il semble être précisément ce sur quoi compter – garder équilibre – comme yeux oreilles mains pieds

‘du territoire d’Animalamour’ par Christian Sorrentino
castordonner

ÉCRIVISTE


J’ai été correctrice pendant vingt ans arrondissons. Un de mes meilleurs coups, qui m’a valu par la suite une embauche sans fin pour la réécriture de centaines de récits de montagne, de topos et autres guides pour ne pas perdre les randonneurs dans les Alpes que je n’ai appris là qu’à détester plus encore, ça a été lorsque l’éditeur grenoblois qui se préparait à célébrer Stendhal en rééditant sa Vie de Henry Brulard – Stendhal qui détestait pourtant ouvertement la vilaine ville de Grenoble qui loin de s’en offenser a gravé ses mots dans le plomb sur les parois de l’ascenseur de la bibliothèque publique, mots que j’ai également corrigés –, lorsque cet éditeur donc s’est aperçu à deux jours du Bàt que la claviste qui suivait l’édition de la Pléiade avait tourné plus d’une fois deux pages à la fois, et qu’il fallait donc un correcteur, un brave correcteur qui savait faire ‘chou pour chou’, suivre à la lettre les textes de Stendhal, ce que lorsqu’il m’a appelée au secours j’ai fait, apprenant du même coup et pour la vie à récrire ceux qui n’étaient pas de Stendhal. J’ai fait chou pour chou pour HB. Bon coup. Plus tard à la demande d’un amateur de beaux-livres j’ai fait chou pour chou pour tout Rimbaud, syllabe par syllabe. Super bon coup.

Maintenant que je suis enfin sortie de cette activité déprimante et que je vis dignement en aristocrate-prolo semi-gitane lexicalement libérée (le propos ici étant bien de m’auto-étiqueter sans me gêner) et que je demande au correcteur élektronik de revoir mon mini texte, celui où j’ai écrit pour me présenter que fatiguée d’être questionnée sur ma place (?) entre prose et poésie, livres pour les adultes et livres pour les petits, romans et improvisations publiques, écrire au scalpel et chanter en yaourt, littérature et calcul, grand éditeur et petit, écrivain ou artiste ? maintenant que je compte dire que je suis écriviste en espérant que ça se comprenne tout de même, le correcteur me suggère écrevisse. Qu’il ait voulu faire de Gallimard un gaillard, de Benjy un banjo, de la ‘Pute’ une puce et qu’il pense que stp veut dire stop m’a fait me gondoler mais ne m’a pas consolée. Car voilà bien l’esprit de Johnny le correcteur. Toujours la ramener, et la ramener au dictionnaire des noms communs, corrects, et même robot anonyme continuer de me harceler en paramétrant en dépit de la vérité mon statut d’animal.

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distribués gratuitement par Antigone et ses activistes

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