EN LIVRES

MON-GROS-MOUTON-NOIR


‘ça (re)commence comme ça’ : un album avant la parution

mais le vent fou qui met les cheveux devant les yeux
le vent qui emmêle tout s’est réveillé
il s’est levé

et avec lui encore loin à l’horizon un mouton

un tout petit mouton un nouveau-né
mais qui savait très bien marcher
il savait même sauter il savait déjà courir et vite
il s’est mis à galoper comme un fou
et à grossir
et à noircir
très vite

en fonçant droit sur moi

mon-petit-mouton-blanc

TON STYLE


Dans un salon du livre jeunesse où j’avais été invitée à la dernière minute certaines organisatrices me regardaient d’un mauvais œil et je croyais que c’était pour une ou deux raisons que je pouvais nommer et je me disais Tais-toi espèce de paranoïaque mais j’ai su au moment de partir que certaines organisatrices voyaient d’un mauvais œil que je puisse avoir écrit ‘La Taille des hommes’ et ‘être là’.

Je me suis souvenue récemment d’une jeune femme au long cou sur ce salon. J’avais déjà remarqué que les femmes au long cou en sont généralement fières, je me disais ça doit être à cause du cygne et de la grâce et de Boticelli n’étant pas moi-même portée vers la beauté canon et n’appréciant pas ces cous forcément un peu goitreux, mais je voyais bien que lorsqu’on avait un long cou on se devait de le tourner en tous sens, on l’exhibait, on n’essayait pas de se le raccourcir au contraire on avait par exemple des décolletés bateau qui le faisaient saillir encore plus et il semblait qu’on tournait la tête davantage que les femmes au cou de taille normale etc. puis je me suis souvenue de cette jeune femme au long cou sur le salon du livre qui tournait la tête chaque fois que j’étais dans son axe et j’ai compris qu’elle me montrait sa nuque en pensant aux choses sexuelles que j’avais écrites alors que je travaillais avec des petits de maternelle et je me suis demandé ce qu’elle faisait de son sexe elle, à part montrer son cou et surtout sa longue nuque. Que fais-tu de ton sexe toi, jeune Johnny blonde au long cou ? Qu’est-ce ce qu’on fait de son sexe par où peut aussi sortir l’enfant quand on est munie d’un cou érectile. Tel membre est forcément difficile à porter et je ne devrais pas y voir ce signe flagrant de pruderie fausse, de grâce forcée. Mais je ne suis pas paranoïaque et tout des pensées de ces femmes au long cou m’a semblé pas net à la minute où j’ai vu clair dans leur truc de mère geisha.

clv dolls‘brad pitt’ & ‘une ptite pipe’ – collection privée – 2009

clv mon chien et la paixclv mon chien entend bien ‘Mon chien et la paix’ & ‘Mon chien entend bien’  – 1999 & 2009

LES RUBANS D’AMOUR


27,27 mètres d’amour extraits de ‘La Taille des hommes’ et réécrits en les ajustant à des rubans de mercerie ancienne qui mesuraient 99 cm pour le premier ou 155 cm je vois là au milieu ou 222 cm pour le plus long – seuls les chiffres pile me sautent aux yeux – ces rubans qui peuvent avoir l’air délicats ne l’étaient pas tant que ça – ils portaient les seins des femmes qui ont connu la guerre et leur parole crue était enfermée dans du papier cuisson aussi quant à moi je n’y ai jamais rien vu de précieux et j’ai spécialement aimé faire ce travail de plieuses – postières couturières cuisinières – qui s’est trouvé être aussi notre travail le plus vendu – il était excitant comme une belle fille sur le pas d’une porte et tu ne sais pas trop ce qui va se passer à l’intérieur mais vu le prix tu te dis que tu ne risques rien – sans le savoir on avait trouvé la formule rêvée de tout artiste dont on ne s’est jamais resservies

un ruban d'amour

avec Claire Colin-Collin
chez NON

ABSENCE DES COWBOYS : PAGE 21


C’est un jour où le sol est mouvant, mes jambes s’enfoncent à chaque pas, les trottoirs ne sont pas d’aplomb, ni les murs. Je marche vingt mètres je croise une vieille femme édentée, chaque vingt mètres une vieille femme édentée pourrait tendre sa main vers moi. Et ça n’arrête pas. Le ciel n’arrête pas de manœuvrer non plus, un défilé de nuages nerveux dans l’espace réduit par mes paupières. Tout bouge tout le temps, avec le vent, la température, la lumière. Et ma tête, avec dedans le mal de cœur. C’est un jour comme ça et je dois grimper au neuvième étage d’un immeuble que les Allemands ont oublié de bombarder. 9 fois 16 marches molles. Mes haut-le-cœur du rez-de-chaussée 144 fois essorés et je ne peux pas me retrouver transportée dans un lieu où tout ça cesserait immédiatement. Dans la cour d’une ferme. Sur le ventre d’une mère. Je ne peux pas. Je peux vomir au sixième étage. Je peux m’allonger au septième. M’asseoir au huitième. Regarder l’écran de mon téléphone en me rappelant les messages d’amour qu’il a affichés pour moi. Certains sur le moment me semblaient un peu puérils un peu vains, certains étaient drôlement fagotés, quelles drôles d’idées s’emparent des garçons quand ils tournent leurs compliments, certains étaient de jolis petits mensonges amoureux. D’autres avaient la puissance d’une horde de chevaux sauvages. Au neuvième étage ils cavalent sous mes yeux comme si j’étais debout à l’arrière du camion avec Marilyn. Il est impossible de ne pas tout faire pour sauver ces chevaux, impossible ne pas comprendre ça. Sans même l’aide du cowboy tendre je libérerai les chevaux sauvages, sans même avoir à me battre contre l’autre cowboy, celui qui veut voler aux chevaux leur puissance. Lorsque je frappe à la porte mon cœur bat très vite.

coeur

CE QU’IL FAUT (BONUS)


À part Nathalie Sarraute que je n’ai pas lue depuis qu’elle a fini d’écrire et Jamaica Kincaid qui se lit au goutte-à-goutte, je ne sais pas comment se débrouillent les autres dans leur château-fort intérieur avec ce qu’on appelle les incises ou les apartés, les prétendues digressions. Je me pose la question parce que ce sont les autres, je peux le dire j’ai été correctrice ma vie d’avant, ce sont les autres qui ont fait de ces choses essentielles à dire, ces choses fluides comme la vie, ils en ont fait des choses mortes, des choses à l’arrêt comme des chiens qu’on doit caser entre des signes spéciaux, ouvrant fermant, et qui dès qu’on les aperçoit dans un texte disent ‘Attention ceci a sa tombe ici’, disent ‘Ceci est une des tombes que je réserve à certains mots’, disent ‘Ceci étant une des nombreuses tombes que je réserve aux mots veuillez vous recueillir un instant ici même’, disent ‘Chaussez donc vos lunettes pour mater ma ptite merde en bas de page’, disent tant et tant en baissant le ton dans leur propre église qu’ils auraient mieux fait de le dire directement, alors que pour le tronc de la chose grave et bien française qu’ils ont à dire ils ne donnent pas d’autre nom que PROPOSITION PRINCIPALE. Mais ce n’est après tout qu’une proposition.

Je ne sais pas si Sarraute a écrit sur la grammaire, et qui l’a fait pour elle je ne sais pas non plus, mais je sais la haine qui peut se développer contre les grammaires personnelles. Il y a une interview de Jamaica je l’ai écoutée hier, elle commence pour de bon vers la 45e minute, comme revoir l’interview de Sarraute à la place d’un épisode de Treme, ce geste de ma personne paralytique au travail et paralytique au repos, certes il suffit de cliquer ce n’est pas vraiment un geste comme aller en bibliothèque ou ouvrir un vrai livre blabla mais regarder deux écrivains parler si c’est pas un putain de geste, et ce geste est la chose la plus réjouissante que mon inconscient m’ait fait faire depuis longtemps. Parce que là où Sarraute prend son petit sourire de juste avant de mourir pour dire comment son premier livre fut un flop, Jamaica à la toute fin de l’interview, autoblindée dans l’habit de l’humour ‘Ne vous approchez pas trop je suis encore en danger’, quand on lui demande quel est le secret de son art/craft, après avoir dit que si elle avait un elle le mettrait en bouteilles pour le commercialiser, la Kincaid pose sur la table ce galet lissé d’absolue beauté, je traduis à ma façon et de mémoire, ‘Toulmonde dira Ne commencez pas une phrase avec Et, mais moi j’aime commencer une phrase avec Et. Et si toulmonde dit qu’il ne faut pas le faire, c’est une bonne raison pour le faire. Donc si j’avais un “art” ce serait peut-être ça, faire le contraire de ce qu’on a voulu que je fasse.’

mrs Jamaica Kincaid