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C’est le directeur je travaille en cuisine dans son restaurant il porte au poignet la montre cassée que son père portait le jour où il s’est défenestré il a un léger bégaiement ou plutôt une hésitation avant chaque mot qu’il ne prononce qu’à regret et comme en s’en excusant il me donne deux cents francs un soir après le service puis il recommence puis il me donne chaque soir deux cents francs j’accepte il m’invite chez lui j’accepte il me demande de coucher avec lui j’accepte il boit sytématiquement il a peu d’ardeur sexuelle s’il en a jamais eu j’accepte il habite rue du Pélican il fume le cigare il ressemble à Jacques Dutronc il porte cette vieille montre arrêtée j’arrive à voir beauté là où il n’y en a pas je sais fabriquer seule ce qui manque à la relation et ce qui me manque et ce qui manque à cet homme il y a forcément beauté cachée dans son contraire je sais très bien combler les vides mon pouvoir est grand et mon énergie sans limite car cette absence de beauté continue à mes côtés ne peut pas être cet homme avec qui je ne pourrais accepter d’être chaque soir il me donne deux cents francs chaque soir il boit chaque soir j’aime regarder par sa fenêtre d’autres toits que de chez moi je me dépayse dans toute fréquentation je ne me souviens d’aucune parole échangée un soir il me gifle du revers de la main mon nez saigne et enfle il m’enferme chez lui jusqu’au matin je rentre chez moi j’attends des jours avant d’aller à l’hôpital mon nez doit être recassé je porte cette croix en plâtre sur le visage j’aime voir dans le regard des gens que je croise la totalité des scénarios qu’ils imaginent en quelques secondes j’ai donné mes clefs au directeur je lui ai demandé de nourrir la chienne et la chatte il tenait la cuvette pendant que je vomissais les phalanges de sa main droite étaient bleues cette armure sur le visage m’a souvent manqué.

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avant je regardais les hommes maintenant je regarde leurs cheveux leurs dents leurs ongles les pores de leur peau quand j’ai croisé leur regard je regarde leur peau je n’attends pas de surprise je ne parle pas des garçons et je ne parle pas des pères je regarde la peau des hommes-clients à l’œil microscopique ils ne sont plus des garçons depuis longtemps ils sont parfois devenus pères mais même devenus pères certains ne le sont pas ils restent coincés hommes-clients ils n’ont pas de peau de klute ils n’ont pas d’odeur de klute car une odeur de klute sort par le col de chemise et le plus souvent sent savon ou lessive et sueur bonne au nez une odeur de klute sent la peau seule mais ces hommes n’arrivent pas à changer de peau ils n’essaient même pas ils sont collés à leur peau d’hommes-clients comme les animaux sont collés à leur peau mais les animaux n’ont pas le choix j’offre le choix à ces hommes maintenant je peux les faire échapper de leur peau maintenant il est certain que ces -clients méritent de mourir il est évident que seule la mort les libérerait je pourrais les y aider

stand straightStand Straight 60 euro pièce, 2005 – Le Nouveau Recueil n°56, 2000