– Sais-tu j’ai écrit deux jours de suite ‘Molle clv’ pour ‘Mlle clv’ et ‘quant à mol’ pour ‘quant à moi’, alors que je n’ai jamais été aussi ferme, je veux dire en tant que patate fille. Regarde, je tiens même très à jour le top 5 des lapsus clavier :
1 être oubliée pour publiée
2 le maton j’ai mauvais rêves
3 si Katia ne pute pas
4 et 5 au lieu du château-fort j’ai écrit le château-frit de Tom, puis dans la foulée Tom m’a dit que j’étais youthful j’ai entendu useful et ça m’a fait tellement plaisir, ça m’a fait me sentir être la petite-fille de Louise Bourgeois qui parle tout le temps de ‘être utile’. Louise a dit aussi que c’était ‘une constatation très triste’ mais qu’elle ne pouvait aimer que les gens qui l’aidaient. Toutefois je n’ai jamais lu dans ses propres paroles qu’elle avait fait le pont-levis entre son désir d’être elle-même utile et le conditionnement de son amour. Si je fais le pont moi, en passant dessus après Louise, si je fais cette constatation pas triste du tout qu’être utile est utile à l’amour dans les deux sens, alors je me vois petite fille à la poitrine pas plus ronde que des creux poplités et cependant so useful, puis je me vois mourir so youthful comme Louise à 99 ans. Ce n’est pas aussi fiable que la géométrie chère à Louise, mais c’est fort utile aussi à connaître la date de sa mort, ça fait une ligne brisée, avec la poitrine plus ou moins plate plus ou moins gonflée plus ou moins esseulée, une sorte d’escalier de 1960 à 2059, mais ascendant. Oui. Tu as raison. Il y a le temps.
EN VRAC
LE JOUR OÙ JOHNNY M’A PERDUE
Il y a eu un jour où Johnny a perdu moi. À jamais bien que fontaine etc. à jamais plus eau de fontaine de moi Johnny ne boira. Mon affection pour lui qui était vivante d’un jour est morte tuée par violence car c’est ce que violence fait elle tue. Auparavant il y avait eu l’agonie. Auparavant lentement je m’apercevais déjà que l’estime dans laquelle Johnny me tenait au lieu de me tenir me lâchait des petits pets à la figure, des pets embaumés mais c’était fort désagréable c’était très inconfortable je perdais le confort de l’estime de Johnny ça me lâchait tout en gonflant les pectoraux je ne le reconnaissais pas le Johnny. Puis il y a eu le jour où il m’a poussée du petit podium de l’amie de cœur jusque dans la tombe d’une rien du tout.
Ce n’était pas qu’un cas ordinaire de brouille ou de contentieux, de dispute de fâchage et autres simagrées de la mitié. Cette mite rare, c’est pour moi la première fois, cette mite-là c’est à peine croyable je jure elle ne tient pas à moi. Je jure je n’ai rien fait cette fois il ne s’est rien passé c’est tout l’autre cette fois. C’est Johnny. Il a choisi de me perdre plutôt que de répondre à mon appel au secours. Ce que je vais dire est vilain on pourrait l’attraper en gourdin pour défendre pauvre Johnny mais ce serait se tromper lourdement attention je préviens puis je dis dans la grille de Johnny, colonne carrière, rubrique avancement, je n’apparaissais plus cochée comme depuis dix ans à la sous-rubrique utilisable en vue de promotion, par suite d’une part de son récent avancement, par suite d’autre part de cet appel au secours (ce qui m’a pris je dois encore me le demander : qu’est-ce qui m’a pris ?) qui me montrait à lui sans plus aucun de mes pouvoirs magiques, toute impuissante et vulnérable comme je suis aussi, et m’enfonçait d’un coup dans la vase.
Je le sais que si j’aimais Johnny je resterais trouvable pour quand il aura besoin de moi mais violence écrase le lien comme sabot l’asticot et je suis bien trop écrasée depuis ce jour, je suis passée inexistante à Johnny il m’a perdue comme un chien au fond d’un bois je ne peux revenir par pure chiennerie et lui lécher les mains je ne peux me remettre à revivre comme ça. Par mitié défectueuse. C’est pour le restant de la vie cette perdition-là. Johnny Bougeotte. C’est aussi pour ça qu’il n’a pas bien vu. Il n’est pas assez immobile pour voir, les tombes elles sont définitives.