une vieille veille de nouvel an cent pour cent déprimant on reçoit une lettre d’une musicienne qui souhaite nous passer commande à cause du ‘bravo’ qu’on donne aux bébés cette inconnue ne sait pas qu’on n’arrive pas à se donner soi-même le bravo elle-même a l’air d’y arriver elle a l’air bien plus équilibrée que soi elle suit sa logique qu’a-t-on fait de la nôtre qui pourrait nous soutenir ? la possibilité même que cette question nous assaille serait à chasser définitivement comme des années plus tard nous chasserons définitivement de notre vie une sale mouche mais c’est la veille d’un nouvel an on chasse comme on peut on fourre la question sous la neige on saute sur l’occasion on va y croire de nouveau le temps que ça se casse la figure et ça l’a fait puis ça s’est reconsolidé et on a appris malgré soi même si on l’a désappris depuis qu’il y a des zones où la question n’est pas d’être tenue soutenue ceci n’est que son propre tourment ceci est la mauvaise question on ne peut prétendre au pilier d’ailleurs on l’a écrit – je me parle en inuit – ce texte commandé ne dit que ça il dit se tenir se soutenir il dit soi il dit je je je je je et pas toi et pas on et pourtant il est possible de s’écrire le bravo et de s’écrire presque tout et de continuer d’attendre après le petit miracle du soutien – ça n’a pas de langue cette attente – tout le temps qu’anesthésiée comme shootée par la douleur on n’a pas les moyens de se demander pourquoi on croit vouloir si fort ce soutien car le temps file rien de solide ne se profile ça s’en va c’est passé ça a eu le temps de revenir et de repasser sans même qu’on s’en souvienne jusqu’à ce qu’un jour de printemps des années après la commande soit sous nos yeux et dans nos oreilles elle a pris la forme d’un jeune percussionniste qui fait des mots qu’on a écrits au vieux nouvel an des sons neufs qui sont à lui et ça ne dure que trente minutes mais là oui il y a soutien absolu par la bouche et les mains chaque son qu’est chaque geste de toute la personne de ce jeune homme exceptionnellement modeste engagé en pilier et pourtant tenu loin de nous sur une scène restant inaccessible ce pour quoi on a encore à apprendre que les piliers servent à tenir autre chose que sa petite personne servent à se tenir eux-mêmes servent à soutenir un sol stable servent à poser le pont qu’on ne doit que passer puis celui d’après puis celui d’après puis celui d’après et il n’est pas autorisé il n’est pas prévu de s’arrêter il n’est pas conseillé de se croire dans une nouvelle de Tchekhov et d’imaginer reposer sa nuque contre leur tronc puissant se reposer n’est pas l’usage c’est passer qui est l’usage passer ce pont puis un autre puis un autre puis un autre éprouvant son propre vertige – apprenant encore à comprendre son propre vertige comme une ordinaire inadéquation au mouvement sur la scène privée – depuis les ponts contre leurs piles là pour pour t’ôter la vie comme pour te protéger – percute – ce n’est pas l’usage adéquat des piliers ce n’est pas l’usage adéquat des ponts
EN VRAC
NOVAK
vendredi 18 juillet je fais partie du Tour de France qui passe à 50 mètres de chez moi tout est archi bloqué toute la journée avec les hélicoptères et tout le bazar qui est énorme d’habitude je m’en vais cette année j’ai eu l’idée très fugace de dérouler un grand papier dans l’herbe et de peindre un message pour passer à la tv d’abord j’ai pensé écrire POÉSIE après LIRE après VIVRE après plus rien je me suis endormie souvent penser aux choses suffit puis ojd avant-veille du grand jour où les gars quand même se tapent la kiki Chartreuse avant de venir chez moi se faire la grande Belledonne sous 35 degrés un homme sonne au portail il propose de peindre mes volets en me disant plusieurs fois C’est dommage c’est tout écaillé je viens de me réveiller je lui dis Merci mais pas maintenant laissez-moi votre carte il insiste il dit Vous savez combien ça vous coûterait la paire de volets poncés je lui dis Mon père était peintre il insiste il dit Ça vous coûterait 100 euro la paire intérieur et extérieur j’ai des pots en promotion je me dis qui c’est ce nigaud j’ai pas la dose de jour ni de café encore je fais pas le lien ni avec mon super concept ni avec mon père j’entends juste son accent je fais pas le lien avec Platel non plus mais je finis par comprendre que ce n’est pas un envoyé de la tv qui voudrait que ma maison n’ait pas l’air délabrée c’est un Belge qui suit le Tour en le précédant pour se le financer et je l’ai laissé partir pour me précipiter ici où je comprends tout car il m’aurait peut-être vendu un de ses pots promotionnels et j’aurais écrit quoi j’aurais écrit PAPA ? quand j’étais enfant au wagon on regardait s’entraîner un gars du coin dans la montée aux lacs qui est si dure qu’elle a été définitivement désinscrite du Tour on criait Allez Novak c’était un pays minier ils ont fermé les mines Novak était canon il me faisait un clin d’œil chaque fois il n’a jamais été qualifié j’écrirais TU ÉTAIS BEAU NOVAK
LOQMAN
il s’appelle Loqman il n’a pas encore quatre ans il pleurait en arrivant la maîtresse lui a dit tu sais bien que ton papa travaille aux services techniques il a continué de pleurer j’ai cru comprendre que le gros bruit qu’on entendait au loin lui faisait peur et qu’il venait d’un engin que son propre père conduirait mais nous étions confus tous les deux la maîtresse m’a dit ce sont les enfants d’aujourd’hui je venais moi-même pour faire du bruit avec ces enfants effrayés j’ai sorti mon appareil pour les enregistrer la maîtresse m’a dit pas de photo nous sommes quand même arrivés à faire un peu de bruit les enfants sont arrivés à crier leur nom on pourrait croire que certains n’ont pas fini de faire leurs poumons ils ont le souffle d’un vieux moineau la maîtresse a fait disparaître un enfant aux poumons surdéveloppés et au corps indomptable derrière une porte close puis un deuxième ils en sont revenus avec des yeux de très grands coupables ils peuvent avoir la vitalité de leurs gènes l’amour de leurs parents mais l’arrogance n’est pas au répertoire des trois quatre ans ça allait bientôt cesser ce cauchemar c’était la dernière fois que je venais faire quoi ? de la poésie dans une classe de prisonniers
pendant la récréation il faisait soleil j’avais mon sweat à capuchon Loqman m’accompagnait il a quitté son manteau bien qu’on ne quitte pas son manteau mais la maîtresse était à l’autre bout de la cour aussi s’est-il retrouvé comme moi en sweat à capuchon et on s’amusait à se coincer la main entre les planches du banc et à me téléphoner pour que j’appelle un coup les pompiers un coup l’ambulance qui venaient immédiatement et n’avaient pas vraiment le temps d’intervenir que la main de Loqman était libérée et tout à fait guérie et ils n’avaient plus qu’à repartir comme ils étaient venus et la main se recoinçait et se redécoinçait et la récré n’en finissait pas j’ai proposé à Loqman d’être moi-même la docteure au lieu de la téléphoniste il a été d’accord je lui ai demandé d’écouter son cœur avec la main il a couru pour l’entendre battre plus vite et nous avons pensé au cœur gros mais je n’ai pas pleuré jamais je n’ai pleuré Loqman était en pleine forme il écoutait avec sa main le cœur de ceux qui passaient par là j’ai trouvé que la plupart étaient assez abattus comme moi sur notre banc avec mon capuchon quand j’ai compris que la maîtresse était celle qui m’avait eue quand j’étais enfant celle que je redoutais plus que quiconque j’ai compris que je ne devais aller que dans les classes de mon autre maîtresse qui était le sosie de Marie Laforêt parce que même tant d’années après je ne peux toujours rien faire je n’ai rien appris qui me permette d’échapper à cet abattement très spécial de la maîtresse qui ne veut pas être avec les enfants et nous entraîne nous enchaîne nous empêche tous dans son abattement à elle
quand on est arrivés sur le seuil de la classe la maîtresse m’a dit pas de capuchon à l’intérieur de l’école Loqman m’a donné une fleur puis deux puis trois puis d’autres enfants se sont mis à cueillir des pâquerettes la maîtresse a dit on ne cueille pas les fleurs que le gars des services techniques allait venir massacrer avec son engin quand je me serai définitivement enfuie
CANALISE
tout est improbable tout est complexe et précieux et fragile dans cette espèce d’atelier que je commence avec les garçons inscrits en boxe éducative et hier un homme politique a sauté sur le ring pendant qu’on travaillait il n’a salué personne surtout pas moi il ne m’a même pas regardée il a déboulé dans la salle il a branché direct les gars à qui il a fait remettre les gants parce qu’il est en campagne électorale qu’il aime la boxe et qu’il avait convoqué la télé régionale
ça nous avait pris un moment de nous retrouver en cercle sur le ring à essayer chacun de dire pourquoi on était là – on a beaucoup ri quand un des petits a dit ‘ça me canalise’ mais il ne savait pas ce que ça voulait dire – on commençait à entrer dans un bon stress avec tous nos canaux parce qu’au lieu de dire chacun son truc on en était à essayer de se rappeler ce que le gars de l’autre côté du cercle avait dit – mémoire concentration attention respect estime – en boxe éducative ces mots sont des scies – un grand disait qu’il aimait spécialement l’ambiance du groupe – je le comprends – ce club est une des seules familles où depuis douze ans je n’avais jamais ressenti de violence avant l’assaut de Johnny le politicien
je ne supporte que très difficilement les adultes j’ai malheureusement ça aussi en commun avec les enfants je l’ai compris hier – être avec eux ça me canalise