COUPE-LE : PAGE 152


La pensée des singes m’occupe depuis bien avant que je les retrouve incarnés dans mes mots. Précisément, la façon sidérée que j’ai eue de penser aux singes en même temps que je fuyais les hommes a fait suite à un autre documentaire, sur le langage celui-là, ce qui signe une fois de plus l’emprise totalitaire que peut avoir la pseudo-connaissance sur un cerveau prédisposé à l’ignorance comme le mien. Je ne sais plus si le film était pointu ou vulgarisant, ni même s’il était bon. Je ne me souviens que du passage où le commentateur, à l’image il y avait un groupe de chimpanzés qui déambulaient comme ils le font fréquemment, et le commentateur expliquait que le langage, permettant de rapporter des faits dont on n’avait pas été témoin, en même temps qu’il ouvrait le champ de la connaissance avait rendu possible le mensonge. Je ne suis pas sûre que sans me l’entendre dire j’aurais pu accéder seule à cette évidence que je n’ai pourtant pas eu besoin d’exporter à ma perception des animaux. Elle y était déjà, sans conscience, comme en songe, bonobo demeurée déambulant parmi les grands singes, qui n’ont donc pas d’autre savoir que celui de leur propre vécu, et pas d’autre chagrin.

Carmen et James ThierreeCarmen – Jean-Pierre Limosin – 2005