27,27 mètres d’amour extraits de ‘La Taille des hommes’ et réécrits en les ajustant à des rubans de mercerie ancienne qui mesuraient 99 cm pour le premier ou 155 cm je vois là au milieu ou 222 cm pour le plus long – seuls les chiffres pile me sautent aux yeux – ces rubans qui peuvent avoir l’air délicats ne l’étaient pas tant que ça – ils portaient les seins des femmes qui ont connu la guerre et leur parole crue était enfermée dans du papier cuisson aussi quant à moi je n’y ai jamais rien vu de précieux et j’ai spécialement aimé faire ce travail de plieuses – postières couturières cuisinières – qui s’est trouvé être aussi notre travail le plus vendu – il était excitant comme une belle fille sur le pas d’une porte et tu ne sais pas trop ce qui va se passer à l’intérieur mais vu le prix tu te dis que tu ne risques rien – sans le savoir on avait trouvé la formule rêvée de tout artiste dont on ne s’est jamais resservies
NON
ÉCRIVISTE
J’ai été correctrice pendant vingt ans arrondissons. Un de mes meilleurs coups, qui m’a valu par la suite une embauche sans fin pour la réécriture de centaines de récits de montagne, de topos et autres guides pour ne pas perdre les randonneurs dans les Alpes que je n’ai appris là qu’à détester plus encore, ça a été lorsque l’éditeur grenoblois qui se préparait à célébrer Stendhal en rééditant sa Vie de Henry Brulard – Stendhal qui détestait pourtant ouvertement la vilaine ville de Grenoble qui loin de s’en offenser a gravé ses mots dans le plomb sur les parois de l’ascenseur de la bibliothèque publique, mots que j’ai également corrigés –, lorsque cet éditeur donc s’est aperçu à deux jours du Bàt que la claviste qui suivait l’édition de la Pléiade avait tourné plus d’une fois deux pages à la fois, et qu’il fallait donc un correcteur, un brave correcteur qui savait faire ‘chou pour chou’, suivre à la lettre les textes de Stendhal, ce que lorsqu’il m’a appelée au secours j’ai fait, apprenant du même coup et pour la vie à récrire ceux qui n’étaient pas de Stendhal. J’ai fait chou pour chou pour HB. Bon coup. Plus tard à la demande d’un amateur de beaux-livres j’ai fait chou pour chou pour tout Rimbaud, syllabe par syllabe. Super bon coup.
Maintenant que je suis enfin sortie de cette activité déprimante et que je vis dignement en aristocrate-prolo semi-gitane lexicalement libérée (le propos ici étant bien de m’auto-étiqueter sans me gêner) et que je demande au correcteur élektronik de revoir mon mini texte, celui où j’ai écrit pour me présenter que fatiguée d’être questionnée sur ma place (?) entre prose et poésie, livres pour les adultes et livres pour les petits, romans et improvisations publiques, écrire au scalpel et chanter en yaourt, littérature et calcul, grand éditeur et petit, écrivain ou artiste ? maintenant que je compte dire que je suis écriviste en espérant que ça se comprenne tout de même, le correcteur me suggère écrevisse. Qu’il ait voulu faire de Gallimard un gaillard, de Benjy un banjo, de la ‘Pute’ une puce et qu’il pense que stp veut dire stop m’a fait me gondoler mais ne m’a pas consolée. Car voilà bien l’esprit de Johnny le correcteur. Toujours la ramener, et la ramener au dictionnaire des noms communs, corrects, et même robot anonyme continuer de me harceler en paramétrant en dépit de la vérité mon statut d’animal.