C’EST UNE VIS


Je pense Allez vous faire foutre, je pense Allez tous vous faire foutre, je pourrais dire Allez au diable si ça avait un sens, le plus important c’est Allez. Allez est comme pousser par la fenêtre, Allez vous faire, pousser d’une falaise, Allez vous faire foutre, pousser par la portière ouverte d’une voiture rouge lancée bien trop vite sur la route pourtant étroite, et abîmée, que je suis depuis trente ans avec le corps qui m’a été donné. Je pense Allez vous-en, et mon corps le même toujours le même, mon corps doit vivre Allez vous-en, pauvre corps sans pensée, obligé de vivre ma pensée à moi, obligé, forcé de faire avec Allez vous-en quand il aimerait peut-être simplement s’allonger en compagnie dans le noir, dans le silence au frais, ou bien ouvrir ses bras en grand, dans le plus grand des Venez, et Venez tous s’il vous plaît, le berceau de mes bras grands ouverts vous attend, et le cœur même brisé vous attend, précisément, le berceau est vide et le cœur est brisé êtes-vous si ignorants c’est Allez qui l’emporte, le penser parle aussi fort que le dire, la pensée a perdu son invisibilité elle pend au-dehors comme une langue, les mots pensés sont plus forts que criés, les pensées couteaux jetés à travers les maisons par-dessus les tablées et les lits, s’introduisant partout tandis que cœur brisé à répétition semble se taire dans corps semblant plié, cœur non sans force non sans pouvoir, ne pas confondre, cœur continuant Allez ou Venez organe réorganisant dans apparent silence cœur tenant tout ensemble en silence, mais ce n’est pas un clou c’est une vis.

TRIVE


une partie de campagne

pour le #11 (dernier numéro) de la revue d’ici là

j’ai lu ce que Annie Ernaux écrit de sa mère qui s’essuyait avec sa chemise de nuit qui par suite était tachée d’urine et malodorante et je suis allée aux toilettes et j’ai pensé qu’en effet ça devait être plus facile mais je ne suis pas arrivée à faire autre chose de ma lecture dont je ne souhaite pas qu’elle modifie mon rapport à mon aïeule chemise de nuit païenne et j’ai souhaité pouvoir demander direct à l’auteur si elle croyait qu’il y avait des progrès en amour puis par simple coïncidence de l’alphabétique proximité des prénoms j’ai lu ce que Alice Munro écrit des pyjamas qui seraient plus pratiques à porter que les chemises de nuit qui finiraient toujours par s’entortiller et j’ai été fort étonnée que sous prétexte de délivrer une apparente astuce de prix nobel elle puisse aussi aisément réintroduire le port de la culotte de nuit tandis que son écriture était comparée à celle de Tchekhov je n’ai rien souhaité lui demander il me semblait que ma chemise de nuit devenait douteuse des suites de ces lectures emmêlées et de ces énervements justifiés et qu’elle s’était mise à s’entortiller sans aucune raison valable car j’ai une confiance absolue en ma chemise de nuit et j’en fais tous les bons usages possibles je suis au moins sûre de ma chemise de nuit faite d’un drap où trois générations ont fait l’amour et il me semble très peu pertinent de poursuivre des lectures qui sèment le désordre au mauvais endroit et procurent des images absolument déréglées de soi dans sa chemise de nuit d’amour sans qu’on puisse directement en discuter avec les auteurs alors qu’il est admis qu’on peut discuter scientifiquement et publiquement des écrits scientifiques publiés on protège les auteurs triviaux de toute discussion triviale il y a là quelque chose qui ne va pas si les mots vulgaires ne sont pas utilisés à l’oral et envahissent l’écrit et que la bouche dit culotte là où c’est cul qui obsède ça ne va pas et écrire la trive sans la parler ça ne va pas lorsque en lecture je flotte entre la veille et le rêve dans le drapeau de ma chemise de nuit qui me laisse voir les cuisses douces de ma grand-mère qui me laisse voir le maillot de peau de mon grand-père qui me laisse voir Pier Paolo Pasolini dans son corps sans âge répondant en personne aux courriers des lecteurs communistes pendant des années et leurs questions avaient aussi souvent à voir avec le sexe et avec la scatologie il avait été banni puis il a été assassiné ce qui ne peut plus clairement mettre un terme à tout espoir d’intelligence entre le peuple des lecteurs et le peuple des auteurs aussi ne devrais-je pas m’étonner d’en être là et de devoir de nouveau me transporter immédiatement en Russie où heureusement tout est intact tout est prêt à être réanimé par la seule pensée de Anton Tchekhov qui suffit pour recevoir les lettres à sa femme signées Ton petit Maupassant qui suffit pour voir les jupons chez les Renoir qui suffit pour que les femmes qui portaient ces jupons continuent de les porter et laisse voir dans la même source de lumière ceux des femmes chez Andreï Zviaguintsev et il n’est pas besoin de dire les dessous des petites gens il n’est pas besoin de dire leur degré de saleté ou de pauvreté il n’est besoin ni de tenir ni de lire un catalogue de la vie des gens il est besoin de la poésie qui pénètre immédiatement l’esprit et rien alors ne peut plus jamais l’en déloger

VITALE BOUBOULE


il y a les jours où je
fabrique tout toute seule en quantité suffisante il y a les jours où je dois
aller jusqu’à juste avant l’overdose de moi je ne connais
pas d’autre type de jour puis il
y a la nuit aussi j’envisagerais
d’accepter les félicitations mais dans
la conversation la psychiatrie évoque la conservation
de mes neurones je lui coupe la parole
je lui dis non je
souhaiterais conserver mes yeux je souhaiterais
conserver l’usage de mes
jambes je souhaiterais conserver le
plus de dents les cheveux qu’on se fait à
ne pas perdre la boule
la psychiatrie oublie que qui n’a pas d’avantages a besoin
d’oublier la psychiatrie
ne fume même pas du tabac la psychiatrie prend ma
carte vitale je la reprends
la psychiatrie ne reste pas souvent
dans la voiture à regarder passer les gens je reste dans la voiture
souvent les bras croisés vitale
bouboule à regarder passer les gens